À peine sortis d’élections fédérales dont les sondages nous disent que le taux de participation descend toujours, Jean Charest entend en déclencher à son tour au palier provincial. Il n’y a pas à dire, les élections sont notre sport national. La population semble cynique, amorphe, résignée; rien de nouveau sous le soleil. Les politiciens font des pieds et des mains pour obtenir l’attention de ce public ingrat, l’électorat rétif. « Nous allons vous amener du changement! » dit l’un. « Nous allons vous protéger de l’économie! » dit l’autre. Peine perdue, aucun de ces messieurs dames n’arrivent plus à émouvoir le bon peuple. « Mais que veut-il donc se satané bon peuple? » se demandent nos pauvres politiciens. Je n’aurai pas l’arrogance de prétendre être la voix du peuple mais je vais vous exprimer une idée que j’ai. Le peuple, il veut se sentir représenté.
Jusqu’ici ça ne semble pas trop difficile; c’est la base même de la démocratie, c’est à ça que servent nos élus. « De quoi vous plaignez-vous M. Fortin? Pourquoi je perds mon temps à vous lire aujourd’hui? » Un instant, un instant, j’y viens! C’est ça le problème dans notre beau système canadien; la représentativité, on ne la sent plus. Ça a l’air idiot comme ça, vu que c’est en théorie le fondement même de nos gouvernements. C’est subtil, insidieux mais d’une chose à l’autre, nous ne sommes plus vraiment représentés! C’est la faute de personne en particulier, c’est systémique voyez-vous… Comment cela? Il y a plusieurs raisons. Allons-y comme ça au hasard…
Les votes à mains levée en chambre : C’est juste un détail en passant. Contrairement aux États-Unis où les députés votent en secret selon ce qu’ils croient juste, les canadiens votent à main levée. Ce mode de décision entraîne la quasi-impossibilité de voter contre son propre parti en chambre lorsque ce dernier prend une décision douteuse ou néfaste pour votre région. En effet, ce mécanisme a poussé pernicieusement à son paroxysme le concept de ligne de parti et les conséquences de défier la dite ligne. Ce qui à son tour transforme les députés en défenseur de la ligne dans leur circonscription et non en défenseur des idéaux de la circonscription dans le gouvernement.
Ligne de parti et réalité canadienne : Le Canada est un pays vaste et polymorphe aussi bien dans sa géographie, ses cultures, ses réalités économiques régionales que ses opinions politiques. Le but d’un parti est de rallier autour de sa pensée une majorité de gens afin d’obtenir le pouvoir de diriger le pays dans la direction de sa pensée. Hors, pour rallier une majorité de gens aux vies, besoins, espoirs, désirs si disparates, une ligne de parti est nécessairement un ramassis marketing vague, édulcoré. C’est comme de la chanson commerciale, le rythme est là mais sans message, on se lasse vite. Personne ne se reconnaît plus vraiment dans ce café au lait politique fade que les élus défendent au lieu d’écouter ceux qu’ils sont sensé représenter. Voilà aussi le secret de la popularité du Bloc Québécois; les Québécois se sentent plus représentés par le Bloc qu’ils ne l’ont jamais été avec les Libéraux de Trudeau à Martin ou les Conservateur que ce soit ceux de Mulroney ou d’Harper. Le Bloc, parti d’une seule province à jamais relégué dans l’opposition, donne l’impression d’être plus en phase avec ceux qu’il représente et ne peut faire figure de laquais d’Ottawa. Que les adversaires du Bloc ne m’enterrent pas sous une pile de courriels argumentant que ce parti est une aberration inefficace et qu’il vaut mieux avoir des gens dans le parti au pouvoir pour être bien représenté. Ce n’est pas le sujet du présent texte. Je ne me poserai donc pas en analyste des résultats politiques du Bloc. Nous parlons ici de la perception de la représentation et sur ce point, le Bloc semble mieux réussir que tous les autres partis.
Café au lait politique fade, complexité du monde moderne et autres intérêts : Vous me pardonnerez si je coupe les coins ronds, rappelez-vous que l’on parle de perceptions et que je tente de vous dresser un portrait global. Donc, nous avons un café au lait quelconque au pouvoir. Premier souci, sa réélection. Mais une organisation de parti et une élection ça coûte cher! Les amis fortunés du parti ont investi des millions dans ce café au lait, il faut obtenir des résultats si on veut garder ce genre d’amis. Donc on va légiférer dans leur sens. Pour le reste, c’est un café fade de toute façon, on va faire ce que l’on peut. Et si on ne peut pas? Eh bien on blâmera la mondialisation, la bureaucratie, la complexité des enjeux modernes et surtout qu’il ne faut pas faire cafouiller la sacro-sainte économie. On a habitué l’électorat à avoir si peu d’attentes, il va gober sans faire de bruit tant qu’on lui garantit un confort minimum et qu’on lui rappelle que c’est bien pire ailleurs. Il est là le problème, il n’est pas dupe l’électorat. Le seul bout qu’il a vraiment avalé c’est l’impossibilité de changer le système sans porter atteinte à son confort.
Gouvernements minoritaires et traditions canadiennes : On en parle plus depuis un certain temps; les gouvernements minoritaires ça peut marcher. Il y a tout un tas de pays qui fonctionnent presque exclusivement en mode minoritaire avec des coalitions et parfois plus d’une dizaine de partis sont représentés au parlement. Mais quand le système de représentation permet à un parti de récolter 10% des voix sans remporter un seul siège comme c’est le cas au Canada, alors c’est impossible. De plus, nos traditions politiques sont allergiques aux gouvernements minoritaires. Si on regarde l’histoire canadienne, il fut rare de voir un gouvernement minoritaire durer plus de deux ans sans se faire détrôner par l’opposition. Nos politiciens sont si dérouté par ce choix de la population qu’en ce moment, comme l’opposition ne les défait pas, ils s’en chargent eux-mêmes dans l’espoir d’une majorité qui ne vient pas! « Mais qu’attendent donc les Canadiens? » s’écrient-ils. Peut-être une nouvelle génération de dirigeants avec des idées neuves et plus d’intégrité. Ils vous donnent tout simplement le moins de pouvoir possible dans l’intervalle.
Alors, comme je le disais au début, il est amorphe, résigné, cynique le bon peuple et ce n’est pas quelques promesses électorales ou un renouvellement marketing des partis qui vont y changer grand chose. « Mais c’est affreux ce que vous dites là M. Fortin! » Oui et non, pas vraiment. Qu’est-ce qui est affreux? Que notre système de gouvernement soit sclérosé, paralysé de relent de structures coloniales et de bureaucratie, cannibalisé par le lobbying, vide de toute vision? Ou que le peuple n’a d’autre réaction que le désintérêt face à la situation? Le désintérêt des gens pour nos institutions est symptomatique de la désuétude des dites institutions. Quand je vois nos jeunes sillonner le monde avec des projets d’aides internationales, quand je vois nos scientifiques participer à la fine pointe de la recherche, quand je vois des hommes et des femmes avec des rêves se lancer en affaires chaque année, quand je vois ce que nos artistes peuvent produire, je ne le trouve pas endormi du tout le bon peuple. Les Canadiens et les Québécois, ces gens dynamiques et ouverts, ont bien raison de ne pas se sentir représenté par ce qui leur sert de gouvernement. Je rêve du jour où le bon peuple se réappropriera ses institutions et les peuplera des rêves et des défis de demain ou bien il les dissoudra pour d’autres car celles-ci auront perdu toute légitimité à force de désintérêt et de café politique fade. Ce qui serait vraiment affreux, c’est la continuité de ce statut quo écoeurant. Sans représentativité véritable, la démocratie n’est encore qu’un rêve.